Ecriture Presse / CCS Paris

Interview des directeurs du Centre Culturel Suisse de Paris, Jean-Paul FELLEY et Olivier KAESER, Swiss Mag aux Editions SFP

Storytelling Presse, Interview  Jean-Paul FELLEY et Olivier KAESER, directeurs du « CCS Paris »| Interview & Words Nicolas Jacquette et Jérôme Liniger | Publishing Suisse Magazine N° 281-282 Director of publication Philippe Alliaume | Editorial Staff Denis Auger, Martine Roesch | Magazin’s Art Director Jérôme Liniger | Copyrights Irresistible & Suisse Magazine | Creation Paris – 2013

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Centre Culturel Suisse de Paris / Vanessa Safari, Les Figures autonomes, 2012 © Marc Domage

« A la croisée des arts » C’est ainsi que Nicolas Jacquette a titré le texte produit dans le cadre de la série de quatre articles culturels pour Suisse Magazine.

 

Le CCS prépare sa nouvelle saison, l’occasion de poser quelques questions à ses directeurs sur leur façon d’habiter le lieu.

Quelle est la mission du Centre culturel suisse et comment se positionne-t-il sur la scène artistique ?

Les images fortes de la Suisse, ce sont principalement l’architecture, le graphisme et l’art contemporains. Il y a une estime énorme de la France pour ces disciplines, que leur niveau d’inventivité et de précision rend uniques. Le Centre culturel suisse a pour mission de faire rayonner la création contemporaine suisse en France dans tous les domaines : art, théâtre, danse, musique, cinéma, architecture, graphisme, littérature… Nous sommes, avec le Centre Pompidou (mais à une tout autre échelle bien sûr), une des rares institutions, et c’est une chance, qui peut être pluridisciplinaire de par le lieu. Nous avons une salle de spectacle, un lieu d’exposition et il y a une histoire.  Paris est la ville au monde avec Rome qui a le plus de centres culturels étrangers, elle en compte 46. Plusieurs sont en réalité rattachés à une ambassade. Nous, nous travaillons en totale indépendance. Notre public cible, ce sont les Français. Nous sommes là pour faire rayonner la culture suisse en France. Cela a toujours été la ligne défendue par Pro Helvetia. Il ne faut pas oublier que l’agglomération parisienne compte plus d’habitants que la Suisse (soit environ 12 millions selon le recensement de l’INSEE). Et Paris est une des villes au monde, si ce n’est la première, où l’attrait culturel fait partie de tout passage touristique. Il y a donc une masse énorme de gens dans une ville qui a une offre gigantesque, et il faut réussir à faire en sorte de les intéresser aux activités du centre.

Deux directeurs, pour un centre culturel c’est rare. Pourquoi une double direction et qu’est-ce que cela apporte ?

Nous sommes un des très rares duos à la tête d’une institution culturelle. En Suisse, chez les artistes et les architectes c’est fréquent, moins en France. Il a donc fallu faire comprendre aux autres, à l’équipe, aux artistes, aux instances politiques, qu’on peut parler avec l’un ou l’autre. Quelle que soit la question, nous sommes tous deux capables d’y répondre et avons la même ligne. C’est une manière de fonctionner assez rare. Nous travaillons ensemble depuis 1989. Nous sommes tous deux historiens de l’art et nous nous sommes rencontrés à l’Université de Genève, en Histoire de l’art, en 1985. Nous avons travaillé comme assistants dans des institutions puis avons commencé à organiser des expositions et enfin, en 1994, nous avons créé notre propre structure, Attitudes, une association dédiée à l’art contemporain. Elle est maintenant reconnue en Suisse et à l’international. C’est ce qui nous a amenés à être choisis pour diriger le CCS. À l’origine spécialistes de l’art contemporain, nous nous sommes intéressés aux autres disciplines et nous avons pris le parti de nous occuper personnellement de l’intégralité de la programmation. Ce que le public ignore souvent, et qui a son importance, c’est qu’une fois directeurs, nous sommes seuls décisionnaires. Personne ne peut nous imposer de projet. Nous ne subissons aucune pression, politique, économique ou autre, ni de l’ambassade, ni du gouvernement. Ça donne du poids au centre. Et plus il a de renommée, ce qui est le cas, plus nous sommes sollicités et devons faire le tri. Notre souci premier, c’est la qualité de ce que nous proposons. Nous voyageons tout le temps entre Paris et la Suisse pour voir des spectacles, des expositions, des artistes et d’autres professionnels de la culture. C’est le meilleur moyen de nous tenir bien informés. Cela montre aussi aux acteurs suisses de la culture que nous sommes connectés avec leur réalité. Quand nous choisissons un projet, ou en refusons un, nous pouvons argumenter, c’est toujours un choix engagé. Ensuite, il faut que le projet soit accepté par nous deux pour être présenté au CCS. C’est ainsi que nous fonctionnons et c’est pour cela que nos décisions sont respectées. Enfin, pas un seul événement ne se déroule sans qu’au moins l’un de nous deux soit présent.

Qu’avez-vous changé et insufflé à votre arrivée ?

Nous avons la chance d’avoir repris un lieu qui avait une importance reconnue et avons poursuivi le travail très qualitatif de nos prédécesseurs. Nous avons insisté sur la ligne de l’art contemporain qui avait été instaurée. Le CCS est d’ailleurs sur le réseau et les agendas des lieux d’art parisiens qui répertorient les galeries et les institutions. Nous avons mis beaucoup d’énergie pour la salle de spectacle avec une programmation riche en théâtre, danse et musique. Nous avons également transformé les lieux. Les bureaux ont été repensés et la bibliothèque a été transformée en librairie par les architectes français Jakob & MacFarlane. Nous apportons un soin particulier à la qualité de ce qui y est vendu. Nous avons introduit des conférences d’architecture qui remportent un très vif succès. Nous avons même accueilli, en partenariat avec le Centre Pompidou, les architectes suisses les plus fameux, Herzog & De Meuron et Peter Zumthor. Nous avons développé la communication, notamment avec la création du journal « Le Phare ». Nous avons misé aussi sur la qualité. La maquette est réalisée par une graphiste suisse, Jocelyne Fracheboud. Le journal est tiré à 13 000 exemplaires, avec trois numéros par an, gratuit, envoyé à tous les professionnels et aux institutions, surtout en France et en Suisse. Les articles sont toujours rédigés par des journalistes et des auteurs choisis. C’est vraiment un organe de diffusion sur les artistes suisses que nous présentons au CCS. Ce journal permet également de garder un lien avec la Suisse. La plupart des représentants politiques et culturels en Suisse le reçoivent et savent ce qui se passe au CCS. Cela manquait auparavant. Le site internet a été refait entièrement. Nous y avons mis les archives du centre depuis sa création. Nous avons également monté une page facebook qui est très suivie. Mais le support papier reste très important. Nous avons particulièrement travaillé sur une communication spécifique à chaque discipline parce que les mondes culturels se mélangent peu. C’est un travail à long terme. Il faut entrer dans les réseaux et être repéré dans chaque discipline. Nous nous efforçons aussi de porter plus loin les artistes en concevant le centre moins comme une finalité que comme un pont pour ouvrir à l’artiste d’autres opportunités sur la scène française. Ainsi les trois artistes exposés l’an passé ont été exposés ailleurs en France, notamment les frères Chapuisat qui avaient fait une fabuleuse installation construite sur place qui a demandé six semaines de montage. C’est un de nos grands souvenirs.

Pouvez-vous nous donner un avant-goût des rendez-vous de l’année prochaine ?

Le Centre culturel suisse va organiser une série de conférences sur les nouvelles architectures des musées suisses, en commençant avec les jeunes architectes bâlois Christ & Ganteinbein, en partenariat avec la revue Architecture d’aujourd’hui. Nous allons présenter une rétrospective de l’oeuvre de Claude Goretta, l’une des grandes fi gures du cinéma suisse. Nous consacrerons deux concerts à l’occasion de la sortie du dernier album du pianiste Nik Bärtsch avec le groupe Ronin chez ECM. En musique, nous aurons également Rodolphe Burger musicien et compositeur de Strasbourg, grande fi gure du rock, et Olivier Cadiot, écrivain de théâtre, dans un projet sur les langues allemande et suisse allemande, ce qui est rare en France, en collaboration avec la Gaité lyrique et la Bibliothèque nationale. Il y aura une conférence le 7 mars, de Gavillet & Rust, un fameux bureau de design graphique basé à Genève. En théâtre, nous aurons deux pièces, l’une tirée d’un texte de Bernard-Marie Koltès et l’autre, « In love with Federer », autour du mythe de Federer par Denis Maillefer. En avril, il y aura beaucoup de spectacles d’art vivant dans tous les espaces, dans le cadre du festival annuel Extra Ball. Beaucoup d’autres événements sont prévus par la suite.

Quels sont vos challenges pour l’avenir ?

Nous aimerions agrandir la salle de spectacle et transformer la salle d’exposition, mais c’est un projet que nous ne pouvons bien sûr pas développer seuls. Des discussions sont en cours. Pour le reste, nous continuons dans la lancée que nous avons en veillant à une chose primordiale : le plaisir. Nous avons une équipe fantastique et nous voyons des choses fabuleuses. On nous demande parfois si, à force de voir des artistes, des œuvres, nous ne devenons pas un peu blasés. Jamais ! Quand nous voyons une œuvre forte, un spectacle qui nous touche, nous avons vraiment envie de faire en sorte que d’autres puissent les découvrir et que l’artiste et son projet puissent aller encore plus loin.

Nicolas Jacquette / studio irresistible