Interview de l’artiste zurichoise Victorine Müller, lors de sa création à Paris « Chim Air », pour les articles « culture » de Suisse Mag’.
Storytelling Presse Victorine Müller – Artiste plasticienne | Interview & Writting Nicolas Jacquette | Photo Nicolas Jacquette | Publishing Suisse Magazine | Director of publication Philippe Alliaume | Editorial Staff Denis Auger, Martine Roesch | Magazin’s Art Director Jérôme Liniger | Copyrights Irresistible & Suisse Magazine | Creation Paris – 2013
Le studio irresistitble partage l’événement de l’artiste suisse Victorine Müller et sa sculpture « Chim Air » à l’Eglise Saint Merri, à Paris. Le Centre Culturel Suisse de Paris (CCS) avec la Fondation Pro-Helvetia présentaient l’installation de Victorine Müller dans l’Eglise Saint Merri, à Paris, mis en lumière par Simon Egli. Plasticienne travaillant des sculpture diaphanes remplies d’air où parfois elle se met en scène lors de performance, Victorine Müller a réalisé cette sculpture de 7 m de haut spécialement pour l’Eglise de Saint Merry, en réponds aux sculptures de chimériques qui constellent l’édifice.
« Chim Air » / An event at the Eglise Saint Merri, in Paris: The Swiss Cultural Center of Paris (CSS) with the Pro-Helvetia Fundation present the installation « Chim Air », created by Victorine Müller into the Saint Merri church, in Paris and lit by Simon Egli. Visual artist working on diaphanous sculptures air filled, where sometimes she set herself into art performance, Victorine Müller has realised this 23 feets higher sculpture especially for the Saint Merry church, answering to the chimeras wich constellate the building.
Entretient à l’occasion de sa performance à la Maison Rouge lors du vernissage de la rétrospective Louis Souter.
Bonjour Victorine, Nous venons de vous voir en performance. Pour beaucoup de spectateurs c’est une découverte. La première question qui vient c’est, qu’est-ce qui vous a amené à sculpter du plastique ?
J’ai toujours créé quelque chose. Il n’y avait pour moi à l’origine aucun message voulu, pas de philosophie liée à l’usage du plastique. Je voulais atteindre à une expression de formes et au fur et à mesure des matériaux essayés, testé, le plastique est apparu, après l’avoir essayé au même titre que d’autres, comme la matière idéale pour mes réalisations. Je voulais trouver un matériau me permettant de représenter l’espace personnel d’un individu, d’abord comme une membrane protectrice, puis j’ai voulu représenter ce qu’on perçoit sans le voir chez un individu, comme une aura. C’est ainsi que j’en suis venue au plastique transparent. J’ai commencé par réaliser des cocons pour humains en PVC très rigide, avec une personne dans chacun d’entre eux. Cela a été la première performance où j’ai utilisé le plastique. Ensuite j’ai voulu me mettre en scène au milieu d’un pied géant. J’ai donc appelé une entreprise spécialisée et leur ai demandé s’il était possible de faire un pied géant en PVC. Mais la question n’était pas le plastique, ce n’était qu’un moyen, la question portait sur la transparence, la lumière. Et le plastique me permettait d’exprimer ce que je voulais.
Comment le travaillez-vous d’ailleurs pour obtenir ces formes aussi détaillées ? Réalisez-vous des maquettes à échelle réduite pour tester vos volumes ?
Je ne fais aucune maquette miniature, car elles ne me permettent, ni d’appréhender les difficultés de réalisation, ni de me projeter dans le rapport d’échelle sculpture/spectateur. Je fais toujours quelques croquis mais le papier ne peut pas vous préparer aux réactions de la matière ni à la sensation spatiale qui sera produite, comme pour la sculpture de l’église de Saint Méri, suspendue à 7 m de hauteur au-dessus du public. Le plan se construit dans ma tête et quand mon idée est suffisamment formalisée je réalise directement en taille réelle, un premier prototype en plastique, de moins bonne qualité. Je scotche les morceaux entre eux pour créer mes volumes, avec de l’air soufflé à l’intérieur pendant le processus. Je coupe, ça se dégonfle, je scotche, ça se regonfle, ça ne donne pas ce que je veux, je coupe encore, … C’est comme sculpter de l’air. Je commence par une forme générale que j’affine au fur et à mesure, comme en sculpture classique.
Une fois que le résultat me satisfait, je détache les morceaux et les utilise comme patrons pour le plastique de qualité qui formera la sculpture finale.
Le procédé de réalisation est très long et difficile. Je travaille sur l’une des machines professionnelles d’une usine de moulage. Pour attacher mes pièces ensemble, j’utilise une colleuse par chaleur. Je maintiens les parties à souder ensemble sur la machine qui ne peut coller que quelques centimètres à chaque fois. Et je répète l’opération centimètre par centimètre. A cela s’ajoute la difficulté que ces soudures doivent intervenir à des endroits précis entre différentes couches de plastique, je dois donc jouer avec des morceaux de métal isolant contre la chaleur pour protéger les parties qui ne doivent pas se fondre les unes dans les autres. C’est un travail long et laborieux et je ne m’arrête bien souvent pas la nuit quand je suis en réalisation. De l’idée à la finalisation, pour une grande sculpture, il faut compter 4 mois de travail.
Vous travaillez vos performances avec le créateur lumière Simon Egli. Comment votre collaboration prend-elle forme ?
Nous travaillons étroitement ensemble. Nous parlons énormément. Je lui décris ce que je veux exprimer, ce que je veux faire voir. Et il fait des propositions pour le mettre en œuvre. Au fur et à mesure il a développé une sensibilité si fine sur mon travail qu’il n’est presque plus besoin de lui indiquer quoi ce soit, il sait comment m’aider à exprimer ce que je souhaite. Nous faisons des tests et voyons ce qui marche ou ce que nous voulons voir différemment. Il utilise notamment des jeux de lentilles qui lui permettent de sculpter la lumière en interaction avec la sculpture et mon corps.
Quelle place occupe le vivant dans votre univers de représentations ?
J’utilise notamment les animaux pour ce qu’ils signifient dans l’imaginaire collectif, les notions auxquelles ils sont associés et qui font partie de l’humain. Un éléphant ne donne pas à ressentir la même chose qu’un tigre. Par exemple pour moi l’éléphant évoque quelque chose en rapport avec le temps, la durée. Mais je ne m’en sers pas pour communiquer une idée. Par exemple pour la performance d’aujourd’hui. J’ai passé près d’une heure immobile dans cette sculpture. J’ai offert du temps au visiteur, un espace, un moment dans lequel ils ont pu se projeter dans cette sculpture. Et comme je n’agis pas, je n’impose pas de message. Ainsi, chaque spectateur y trouve sa propre expérience, unique, sa propre projection personnelle. J’aime interroger. Par exemple, ma sculpture de l’éléphant où je me mets en scène, a été vue par des africains. L’un d’eux a été très touché parce que pour lui l’éléphant était un animal mauvais, dangereux. Mais de le voir transparent, cela lui conférait une telle fragilité que sa conception de cet animal s’en est trouvée interrogée. Il y avait un paradoxe entre la fragilité du plastique gonflé et la force imposante due à la taille et à l’animal représenté.
Pour conclure, si vous deviez définir votre démarche…
J’aime l’idée d’offrir un support sur lequel le visiteur peut projeter son propre imaginaire. Je ne veux pas donner de réponses, puisque je ne les possède pas, je préfère poser des questions. Et surtout, lorsque je réalise ces sculptures et que je les habite le temps d’une performance, je ressens une connexion très forte avec quelque chose de très profond en moi. C’est cette connexion que je veux offrir, partager. Permettre au spectateur de se connecter par le biais de l’œuvre à ce qu’il a de profond en lui.
Ce que je crée c’est, plus que l’illustration d’une idée, d’avantage une illustration permettant aux idées de s’y former. Car jamais personne ni voit la même chose.
Sous la chimère, l’artiste Victorine Müller (au centre) aux côtés de Monsieur Denis Charrière, attaché culturel de l’Ambassade de Suisse en France (à gauche).