Storytelling Presse / Thierry Châtelain

Interview du pianiste compositeur Thierry Châtelain dans le cadre de la série d’articles culturels Suisse Mag’ aux Edition SFP.

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« MARTEAU SUR FEUTRE »

Entretien avec  Thierry Châtelain, pianiste et compositeur Suisse à Paris

Par Nicolas Jacquette

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Qu’est-ce qui vous a amené à la musique ?

Je suis né à la Chaux-de-fonds en Suisse, dans une famille d’horloger. Mon père était un horloger d’art, très précis. Sur son établi, ses outils étaient positionnés à des espaces très étudiés pour qu’il n’ait pas à les regarder en les utilisant. Il m’a transmis le goût du travail soigné. J’ai toujours fait un parallèle entre l’horlogerie et ma façon d’aborder un instrument. Et j’ai toujours eu l’amour de la musique. Ne vivant pas dans un milieu artistique, j’ai commencé par l’accordéon. J’ai gagné beaucoup de prix et j’ai eu la chance de travailler avec l’accordéoniste et organiste français Freddy Balta qui s’était installé à Lausanne. C’était mon premier contact avec la France. Il m’a appris à travailler le jeu « perlé » et sa façon d’enseigner était très directe. Par exemple, il a appelé ma famille en les insultant, leur demandant pourquoi ils me faisaient faire une école de commerce alors que j’étais fait pour la musique. Il m’a poussé à commencer le piano, j’avais 16 ans. Dès lors je n’ai plus cessé d’en jouer et je ne voulais plus toucher à l’accordéon. Mes parents ont accepté que je quitte l’école pour m’inscrire au conservatoire, où j’ai travaillé sans relâche. J’ai trouvé un magnifique piano à queue Bechstein et je joue toujours dessus.

 

J’ai eu énormément de chance, parce que mes parents s’occupaient de la mère de Roger Boss, directeur du Conservatoire de Neuchâtel. Il est venu m’écouter et m’a accepté dans sa classe de piano au conservatoire. En 6 ans, il m’a presque tout appris. Ensuite, je suis parti en Allemagne pendant 2 ans travailler avec Karl Engel et je suis revenu à Berne dans la classe de piano de Michael Studer où j’ai obtenu mon diplôme de soliste. C’est à cette époque que j’ai commencé à jouer avec Coline Pellaton, violoniste et chanteuse avec qui j’ai fait presque toute ma carrière. Nous étions ensemble au conservatoire. Nous avons décidé d’aller jouer dans la rue avec nos instruments dans le sud de la France, et évidemment l’accordéon était plus pratique que le piano. Je m’y suis donc remis. J’ai commencé à écrire des arrangements pour accordéon, violon et voix, c’étaient les débuts du groupe JAEL. Nous sommes retournés en Suisse où nous avons joué dans la rue et très vite nous avons été sollicités pour jouer en concert. Et pendant 20 ans nous avons tourné de cette façon, dans tous les milieux. Nous faisions en moyenne 140 dates par an. Je jouais moins de piano, par contre je l’utilisais pour composer, ce qui donnait un rendu plus original à l’accordéon. Au début des années 2000, nous avons décidé de quitter la Suisse, et nous sommes venus nous installer à Paris.

 

Durant mes études, je faisais 12 heures de piano par jour et j’étais un peu autiste, replié sur moi-même. A Paris, j’ai commencé l’école de théâtre Jacques Lecoq durant 1 ans et cela m’a permis de trouver une autre forme de travail corporel et intérieur en interaction avec la musique. Cela m’a amené à me passionner pour des thérapies liées au son et à travailler d’avantage sur les relations entre l’audition et la voix. J’ai, dès lors, mené une recherche sur l’influence de la musique sur notre corps, jusque dans la cellule même. J’ai écrit deux albums sur cette thématique de recherche ; Les Mémoires Cellulaires et L’ADN. J’ai travaillé uniquement sur des sons qui n’existent pas dans la nature, qui ne représentent rien de connu et sans mélodie harmonique. Après, ces projets j’ai pratiquement cessé de composer et me suis consacré au piano. Je donne des cours à domicile, ce qui me permet de me libérer facilement pour les concerts. Je continue en même temps à jouer pour des spectacles comme par exemple le conte « La Mort-Marraine » et de jouer de l’accordéon avec JAEL. J’attends pour composer à nouveau.

 

Quelles sont vos influences majeures ?

Sans hésiter, la pianiste : Martha Argerich. Mon professeur en Suisse, Roger Boss, était un ami intime de son mari, Charles Dutoit. Quand il l’a rencontré, il a décelé son grand talent, et étant fortuné, il l’a aidé en tant que mécène. Roger Boss me parlait souvent d’eux ( ), car en effet, il les côtoyait régulièrement. Martha Argerich est toujours restée unique pour moi, la façon dont elle joue est absolument extraordinaire, sa manière d’aborder le piano est si naturelle. Aujourd’hui, je suis intéressé par les jeunes pianistes et je suis en admiration devant leur talent.

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Comment en êtes-vous venu à la composition ?

J’ai commencé à composer à l’époque de JAEL. A nos début, nous jouions des musiques empruntées, puis nous avons travaillé avec un producteur qui était aussi compositeur. Et c’est un peu grâce à lui que j’ai commencé à écrire. Il m’amenait une ligne musicale et je la réarrangeais totalement. Je me suis aperçu que je n’étais pas si mal comme arrangeur et que souvent quand il n’y avait qu’un thème, j’en amenais deux autres. J’étais finalement assez bon mélodiste aussi. Après deux ans, j’étais convaincu que je pouvais très bien composer moi-même. Depuis j’ai écrit quatre albums et aujourd’hui JAEL travaille encore sur mes musiques. Après, quand je me suis installé à Paris, je suis allé chanter dans le Chœur des Chanteurs de l’église Saint Eustache et là, le président m’a proposé d’écrire une messe et un oratorio. Cela a pris deux ans. Je suis parti en Israël dans  l’abbaye d’Abu-Gosh pour continuer ce travail, ce lieu m’a beaucoup inspiré. La première mondiale a eu lieu à l’église Saint-Eustache à Paris en 2009.

 

Comment composez-vous ? Quelle est votre méthode de travail ?

J’ai commencé à écrire sur papier avec ratures et gommages. Et puis, avec JAEL en Suisse nous avons rencontré le violoniste Pierre Amoyal, une belle rencontre musicale. Nous l’avons retrouvé à Paris où il prévoyait quelque chose au théâtre des Champs Elysées. Il nous a proposé de nous joindre à lui pour jouer du Mozart. Je lui ai proposé, à la place, de créer quelque chose pour l’occasion, pour deux violons, voix et accordéon. Il a accepté et m’a dit avant que je commence à composer : « Ecris dans les chambres de bonne, j’adore ! » C’est-à-dire des notes à 5 ou 6 lignes supplémentaires dessinées au-dessus de la portée, très aigües. Là, j’ai eu une pression folle avec l’échéance du concert. J’ai écrit 6 pièces pour nos trois instruments, nous avions en projet un album et des concerts. Nous nous sommes retrouvés tous les trois à Neuchâtel en Suisse, où nous vivions à l’époque, lui au violon, moi au piano, pour qu’il déchiffre la partition et voit si elle lui plaisait. La pièce s’appelait Orient Express, et il y avait une introduction assez longue de 3-4 minutes au violon. Il prend son stradivarius et joue, divinement, comme s’il la connaissait déjà. C’était parfait ! Mais il ne réagissait pas. Moi je commençais à transpirer, à me sentir très mal à l’aise. Il jouait, le visage à deux centimètres de la partition, très concentré, sans expression. Il termine, il me regarde et me dit : « C’est merveilleux ! » Ouf ! Je respirais à nouveau. Et il ajouta : « Plus jamais tu ne me donnes une partition écrite comme ça ! C’est à peine lisible. » Elle était manuscrite. Les ordinateurs commençaient à se développer, et je suis allé acheter un programme d’écriture de musique. Ça a révolutionné ma façon de travailler et je n’ai plus du tout écrit mes compositions à la main. Le programme écrit directement ce que je joue. Plus besoin de s’arrêter, plus rien d’effacé, d’oublié, de perdu. Ensuite, il faut structurer tout ce travail. J’improvise au piano et je garde le meilleur. J’ai gardé le style de l’écriture d’avant, mais je suis plus rapide. Je ne laisse rien d’inachevé derrière moi. J’ai une idée qui me plait, je la fixe, avant de passer à la suivante. Je ne me perds pas dans une partition. Je travaille vraiment avec une rigueur helvétique et de façon architecturale. Je structure ma mélodie comme une sorte de dôme qui va accueillir une circulation musicale pour qu’ensuite l’auditeur s’y sente bien. J’ai composé plus d’une centaine d’opus.

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Quels sont vos actualités et vos projets ?

Cette formation musicale sur ordinateur m’a amené à travailler pour d’autres artistes pour les enregistrer et éditer leurs disques. Coline Pellaton en ce moment signe son premier album solo que je réalise. Elle joue sur un violon électrique et nous travaillons ses enregistrements sur ordinateur. Le disque est presque prêt, il devrait sortir en Mars-Avril et sera titré « Mille dans l’Un ». J’accompagne à l’accordéon, avec mes compositions, la conteuse Isabelle Sauvage les 23 et 24 février au Centre Mandapa à Paris dans La Reine des Neiges d’Andersen. Je donne un double concert le 16 mars prochain. L’un avec JAEL et l’autre avec La Mort-Marraine, de, et avec, Anne Quesemand et Laurent Berman, au théâtre de la Vieille Grille à Paris. Ce théâtre a également une maison d’édition « L’attrape Science ». Je participe au projet de réédition du livre « Le colporteur d’images », avec les dessins de l’architecte et artiste peintre Laurent Berman, qui, pour l’occasion sera accompagné d’un DVD que je réalise. Il devrait  également sortir au mois de Mars. J’ai des concerts prévus à l’automne en Suisse, dans la région du Valais avec le violoniste Manuel Voirol, ainsi qu’à la Fondation Suisse de la Cité Universitaire de Paris et à Aix en Provence. Les dates seront bientôt communiquées.

J’ai également une chaine Youtube où, sur mon Bechstein, je joue du classique ainsi que des compositions qui me sont proposées par des compositeurs de musique actuelle comme Corentin Boissier 17 ans et Sylvain Guinet.

 

 

Site de l’artiste : www.thierrychatelain.com

Chaine Youtube : www.youtube.com/user/thierrychatelain